Imaginez une enfant de 7 ans qui passe sa vie à chanter, à monter sur scène dans le café-concert de son père, à toquer aux portes des voisins pour leur pousser la chansonnette (en espérant qu’iels lui donnent des bonbons en plus des applaudissements), à sauter sur toutes les occasions de performer devant un public.
Puis imaginez une adolescente de 14 ans qui n’aime pas son corps, qui se compare à toutes ses copines plus minces, qui a peur d’être commentée et refuse même que ses parents assistent aux spectacles de danse de fin d’année.
Une adolescente à qui on a toujours dit qu’elle était douée et talentueuse mais plutôt fainéante à se contenter du minimum et qui finit par développer la croyance que tant qu’on n’essaie pas vraiment, on ne peut pas se tromper. Que si on ne se met plus sur le devant de la scène, il n’y a plus aucun risque de se ridiculiser. Plus aucune chance de se sentir mal parce qu’on ne rentre pas dans les costumes. Plus de regards, plus de commentaires. Oui, c’était pour le mieux.
Cette enfant c’était moi. Cette adolescente aussi.
Récemment, mes recherches et études sur la neuropsychologie et les comportements humains ainsi que mon cheminement personnel m’ont appris que nos souvenirs ne sont pas exacts. Ils sont reconstitués à partir de nos expériences et des croyances et histoires qui en découlent et qui constituent notre sentiment d’identité.
Mes souvenirs sont probablement incomplets et inexacts. Beaucoup se concentrent sur les aspects difficiles de mon parcours pour expliquer la difficulté que j’ai - aujourd’hui - à faire vivre mes rêves d’enfants.
Mon cheminement politique m’a également permis d’apporter une dimension systémique à mon histoire individuelle. Car pour la petite fille que j’étais, ne pas rentrer dans les costumes mis à disposition était d’une grande violence et cette violence prend naissance dans une société grossophobe de contrôle du corps féminin dès le plus jeune âge et dans une famille qui en a hérité toutes les névroses.
En 2021, j’ai eu 30 ans. Mon estime de moi était plutôt moyenne et surtout, j’observais de plus en plus une incapacité à m’exprimer dans l’intime et encore moins artistiquement. Cette année là, j’ai rencontré un des plus grands amours de ma vie, le genre d’amour qui transforme tout ce qu’il touche par sa beauté. À travers son regard, j’ai vu tout ce que je refoulais en moi et qui mourrait d’envie de sortir.
Je voulais chanter. Je voulais écrire. Je voulais faire vivre mon art.
Même pas vivre de mon art. Juste le faire vivre.
À cette époque, j’étais terrorisée à l’idée de chanter en public et cela depuis près de 20 ans. Je chantais à peine chez moi, alors devant les autres ? Impensable.
Par moments, tout à fait spontanément, j’étais prise de bouffée de créativité et j’attrapais la guitare dans mon salon qui prenait la poussière depuis des mois. Pendant quelques semaines, je m’y remettais, frénétiquement. Avant de tout arrêter, à nouveau.
Pas de demi-mesure.
Dans les yeux de cet amoureux, j’ai vu ma douleur de ne pas exprimer ce qui vit en moi. J’ai aussi vu la peur profonde qui m’habite et dont je ne savais que faire. Même avec lui et tous ses encouragements, je n’y arrivais pas. “Je ne peux pas être à la hauteur de l’admiration qu’il a pour moi”, me disais-je. Ou encore, “il me regarde avec les yeux de l’amour, ce n’est pas objectif.” Résignation.
“De toute façon, c’est trop tard.”
“De toute façon, je n’ai pas étudié la musique.”
“De toute façon, je ne saurais même pas par où commencer.”
Pourtant, peu à peu, une nouvelle porte s’est ouverte. Un nouveau monde de possibilités. Un an après notre rencontre, nous nous sommes séparés avec cet amoureux mais l’amour est resté en moi. De l’amour pour lui. Et surtout, de l’amour pour moi.
Sur un coup de tête, j’ai acheté une loop station et je me suis mise à chanter dans ma chambre. À ma grande surprise, ça ne sonnait pas si mal. Non, ça sonnait vraiment bien en fait. J’avais un son à moi.
Le courage, c’est le fait d’agir malgré les difficultés. Et soyons honnêtes, souvent, les plus grandes difficultés sont nos propres peurs.
J’avais mille voix dans ma tête qui me priaient de me taire et de rester dans l’ombre.
Mes pratiques thérapeutiques me disaient que ces voix étaient légitimes et qu’elles me protégeaient d’un éventuel danger. La peur de se ridiculiser, la peur qu’on dise que mon travail est nul, la peur qu’on trouve que je ne suis pas assez stylée pour être une artiste.
Ces peurs elles ne viennent pas de nul part. Mais quelle vie m’attend si je me laisse dicter par elles ? Et j’en fais quoi de mes rêves ?
Au printemps 2024, j’ai décidé que j’allais m’offrir une résidence créative de 3 mois en Inde. L’Inde parce que c’est une terre de coeur depuis longtemps et que des ami.e.s musicien.ne.s m’avaient dit que la région de Goa était propice à la création. La résidence créative ailleurs qu’en France parce qu’il fallait m’extraire du lieu où mon identité était la plus forte. Je voulais devenir une page blanche.
À mon arrivée en Inde en décembre 2024, je me suis acheté un ukulele et j’ai écrit mes premières chansons que j’ai fini par chanté devant un public grâce au soutien de mes nouveaux.elles ami.e.s.
Je n’ai pas envie de vous faire un article à la dev perso de bas étage à coups de “quand on veut, on peut !”.
En revanche, je crois sincèrement que s’offrir la possibilité de donner vie à ses rêves d’enfants, c’est vraiment une aventure exceptionnelle. Ce n’est pas évident, c’est même franchement douloureux parfois, ça prend du temps et oui, ça demande beaucoup de courage. Mais qu’est-ce-que c’est bon.
En tant qu’artiste, accompagnante et facilitatrice d’espaces de création (chant, écriture et mouvement) j’ai à coeur d’explorer la façon dont on peut trouver les conditions fertiles à la création, qu’elle soit artistique ou autre.
Quels que soient ces petits ou grands rêves (peindre, faire du saut en parachute, lire ses poèmes à une scène ouverte, reprendre la danse, commencer de nouvelles études), je vous souhaite de les réaliser du plus profond de mon coeur.
Créons un terrain d’encouragement et de soutien dans lequel on peut partager nos créations.
Si vous êtes encore là, merci infiniment et à très vite.
Matea.